14 mars 2005

Droits de l'homme: le Canada épingle l'Iran

À Genève, Pettigrew hausse le ton envers les pays délinquants

Alec Castonguay
Édition du lundi 14 mars 2005

Ottawa -- Pour l'une des rares fois de son histoire, le Canada hausse le ton devant la Commission des droits de l'homme de l'ONU et montre du doigt directement un pays, en l'occurrence l'Iran. Visiblement soucieux de jouer un rôle plus actif sur la scène internationale, Ottawa enjoindra aujourd'hui aux pays délinquants de rentrer dans le rang, faute de quoi la réforme de l'ONU qui s'amorce pourrait les forcer à le faire.


Le ministre des Affaires étrangères, Pierre Pettigrew, prononcera un discours jugé «important» par la diplomatie canadienne, aujourd'hui, à Genève. Selon le texte qu'utilisera le ministre et dont Le Devoir a obtenu copie, des pays comme l'Iran doivent commencer à regarder la communauté internationale dans les yeux et se soumettre aux résolutions de l'ONU sur les droits de l'homme.

De plus, l'ONU doit revoir sa façon de traiter les droits de la personne en exigeant des résultats concrets de la part de ses membres. Et s'il le faut, la souveraineté d'un pays doit être contournée par la communauté internationale pour faire respecter les droits d'une population en détresse, comme c'est le cas présentement au Darfour.


Peu habitué à faire des vagues devant la Commission des droits de l'homme, le Canada lancera pourtant aujourd'hui ses premières accusations directes envers un pays délinquant, selon une source au sein du ministère des Affaires étrangères. Et c'est l'Iran, qui fait partie de l'«axe du mal» de George W. Bush, qui écope le premier.

Et il y a de bonnes raisons à cela, selon Ottawa. Depuis l'affaire Kazemi, cette journaliste irano-canadienne tuée par les services secrets iraniens en 2003, le Canada est en froid avec Téhéran. L'ambassadeur canadien là-bas, Gordon Venner, n'a toujours pas reçu ses lettres de créances après des mois en poste, ce qui empêche la reprise des liens diplomatiques avec l'État islamique. Irrité par les faux-fuyants de l'Iran en ce qui concerne les droits de la personne, Ottawa a donc décidé de montrer du doigt ce pays devant le parterre de la Commission des droits de l'Homme de l'ONU, à Genève.


«Le Canada continue d'être vivement préoccupé par la situation dans certains États, souligne Pierre Pettigrew dans son allocution. Malgré deux résolutions adoptées à l'Assemblée générale des Nations Unies et plusieurs visites des rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur les droits de l'Homme, l'Iran n'a toujours pas honoré bon nombre de ses obligations internationales concernant le respect de ces droits. Le temps est venu pour l'Iran de démontrer sa volonté d'améliorer sa feuille de route à cet égard. Les atteintes aux droits de la personne en Iran sont sérieuses et elles doivent cesser.»


Responsabilité de protéger

Mais l'Iran pourrait bien être le premier pays d'une longue liste à prendre place au banc des accusés. La réflexion en cours à New York sur le rôle que doit jouer l'ONU dans le concert des nations offre l'occasion de placer les droits de la personne au coeur de l'action mondiale, estime le Canada, qui prend ainsi position pour une ONU plus efficace que maintenant.

«Alors que la communauté internationale s'apprête à se réunir pour le Sommet des chefs d'État et de gouvernement à New York cet automne à l'occasion du 60e anniversaire des Nations Unies, l'année en cours nous offre une occasion sans précédent [...] de nous engager dans la réforme du système multilatéral afin d'augmenter son efficacité et sa capacité à s'attaquer aux défis d'aujourd'hui», souligne Pierre Pettigrew.

Trop souvent embourbé quand il s'agit des droits de la personne, l'ONU doit passer à la vitesse supérieure. À ce titre, la Commission des droits de l'homme doit redéfinir ses moyens d'intervention et faire cesser le recours aux alliés d'un pays pour faire arrêter les débats. «Le Canada estime que, lorsque la Commission est interpellée par l'ampleur des violations dans certaines situations, elle se doit de réagir en faisant plus qu'émettre des ordonnances générales. Nous nous inquiétons des positions de groupe adoptées contre ces résolutions, en particulier du recours aux motions de "non-action", qui empêchent de faire aboutir le débat sur les résolutions concernant certains pays. Nous croyons que ces motions constituent un recours abusif aux règles de procédure incompatible avec les responsabilités qui nous incombent en qualité de membres de la Commission des droits de l'homme», soutient Pierre Pettigrew.


Poussant le nouveau créneau canadien de «responsabilité de protéger», mis en avant par Paul Martin devant l'ONU l'automne dernier, le ministre Pettigrew avance dans son discours qu'il est du devoir de la communauté internationale de se mêler des affaires des autres quand une population souffre à l'intérieur d'un pays, à l'exemple d'une guerre civile comme celle du Darfour, à l'ouest du Soudan.

«Qu'attendons-nous d'un système multilatéral de promotion et de protection des droits de la personne ? Le Canada considère qu'un tel système devrait nous permettre d'élaborer des normes; de surveiller le respect des droits de la personne dans le monde; de promouvoir un dialogue constructif; d'appuyer le renforcement des capacités des États membres à promouvoir et protéger ces droits; et enfin, en cas de violations graves, d'intervenir pour protéger les populations vulnérables.»

Suggérant que l'utilisation de la force soit balisée par les résolutions de l'ONU en ce qui concerne les droits de l'homme, le Canada veut que les pays prennent leurs responsabilités plus à coeur. Il faut «s'assurer que la communauté internationale possède à la fois la volonté et la capacité de répondre efficacement et rapidement aux situations de crise où des crimes contre l'humanité et crimes de guerre sont commis et où la protection des civils est menacée et les droits de la personne, violés», lance le ministre.

La réforme de l'ONU ouvre donc une porte inespérée. «Le Canada croit que la déclaration qui émergera du Sommet de l'ONU en 2005 devrait comporter la reconnaissance de la souveraineté en tant que responsabilité et marquer ainsi le fait que la souveraineté s'accompagne non seulement de droits, mais aussi d'obligations, particulièrement en ce qui concerne la protection des civils.»

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