15 mars 2007

La vie des Iraniennes dans les prisons d'Evine et de Ghezel Hessar

par Ruby Bird, journaliste
Toutes les prisons sont odieuses, dans quelque pays que ce soit. Il y en a qui marquent les esprits par la réputation qu'elle ont et l'image qu'elles suscitent dans les esprits. Deux sont particulièrement réputées, les prisons EVINE et GHEZEL HESSAR. Toutes deux ont défrayé la chronique dans les années 1980 après la prise du pouvoir par l'Ayatollah KHOMEINY. Des pratiques plutôt odieuses contre la dignité humaine s'y déroulaient. Maintes plaintes et témoignages vinrent appuyer cette thèse.


Un des témoignages est celui de Hengameh Haj Hassan, jeune infirmière à Téhéran à l'époque des faits (La Révolution islamique de 1979) et qui «expérimenta» ces deux prisons, et ceci pendant trois longues années. Elle fut arrêtée en 1981. À sa libération, elle rejoignit les Moudjahidins du Peuple et vit actuellement dans la Cité d'Achraf, en IRAK. Elle décida de témoigner, des années plus tard, dans un livre, publié en France : Face à la Bête, des Iraniennes dans les prisons des mollahs, aux Éditions Jean Picollec.
Je l'ai lu en entier et, en tant que femme, je ne peux être qu'extrêmement bouleversée. Je pense que j'éprouverais la même répulsion si j'étais un homme. Je ne voudrais pas généraliser comme certains qui attribuent volontiers ce genre de traitement aux pays non-occidentaux, mais on ne peut pas fermer les yeux sur ce qui s'est passé et sur ce qui se passe encore. Il y a des faits que l'on ne peut occulter.


Sa motivation est dans ses paroles : «Je dois faire entendre ces voix qui ne voulaient que la liberté, que vivre libres... Je dois raconter ce qu'ils ont fait aux meilleurs hommes et femmes de mon pays dans «la cage» et le «cercueil»... Car même si la prison peut apparaître comme un environnement isolé, elle est en réalité une partie intégrante de la société; elle est, plus précisément, le prolongement du combat que mène le peuple contre une minorité qui a accaparé le pouvoir... La résistance, présente partout sous les formes les plus variées, s'y concentre, et s'exprime pleinement dans l'héroïsme des détenus.»


Je pense que ce livre a voulu consciemment donner un maximum d'informations de la part d'une femme qui avait une vocation humanitaire (infirmière dans un höpital de Téhéran), non politisée au départ et qui assistait avec étonnement et ensuite révolte aux changements radicaux et irrationnels dans la société. Les conceptions, les relations humaines, les conditions de travail et de vie changeaient de façon irrévocable avec de nouvelles normes et contraintes. Après avoir vécu sous une dictature, celle du Shah, le peuple, croyant en être délivré, s'aperçoit malheureusement que le nouveau régime n'a pas une tendance si démocratique que cela.


Quand on imposa le foulard obligatoire, ce fut la révolte. «Peu à peu, nous nous sommes retrouvées face à des groupes qui jetaient de l'acide au visage des femmes et les couvraient d'injures obscènes... Tout cela pour qu'elles abandonnent la scène sociale... Le climat politique ne permettait pas encore de commettre ces violences et ces injustices de manière officiellle. Ils s'appuyaient donc sur des bandes de vauriens chargés officieusement de la répression.».


Le 20 juin 1981, les Moudjahidins du Peuple organisaient une manifestation politique. La répression fut terrible ce jour-là. D'innombrables personnes furent fauchées par des armes à feu et morts et blessés envahirent les couloirs des hôpitaux de la capitale. Hengameh soutenait déjà ce mouvement d'opposition et sentait qu'un jour elle serait elle aussi une cible. Ce qui arriva inévitablement dans tout régime où l'on ne tolère pas la contestation et les démonstrations publiques. «On ne pouvait plus rentrer chez nous, parce qu'ils nous y attendaient. Le plus étrange, c'était que notre crime, comme ils l'ont annoncé à nos familles, était «d'avoir soigné des blessés».»


Le livre se lit comme un film et se montre assez subjectif de la part d'une personne qui sent et qui vit la persécution. Ce sont les paroles de témoin et d'acteur à la fois. «Chaque jour la radio et la télévision annonçaient les noms de dizaines et de centaines de personnes exécutées. Les journaux publiaient la photo de certains en demandant aux parents d'aller les identifier pour récupérer les corps. Les mollahs condamnaient à mort des gens sans même connaître leur nom... Du 20 juin au 10 novembre 1981, date à laquelle j'ai été arrêtée, j'ai vécu cachée.». La narratrice détaille les conditions de son arrestation, les raisons et les conséquences. Elle vécut la brutalité immédiatement «Quand je me suis retrouvée seule, ils m'ont bandée les yeux et m'ont rouée de coups, et puis ils m'ont allongée sur le plancher du véhicule en me frappant et en m'injuriant. Et ils sont partis vers Evine – ce que j'ai compris plus tard.»


Une note explicative dans le texte et assez monstreuse en soi relative au sort des prisonniers politiques en 1988 : «Khomeiny a lancé une fatwa pour massacrer les prisonniers moudjahidines. Des «comités de la mort» ont été constitués dans toutes les prisons et en l'espace de trois mois 30.000 prisonniers ont été exécutés après un simulacre de procès.»


A propos d'Evine, Hengameh détaille le premier interrogatoire, la première torture, les conditions de vie dans la cellule, ses «co-locataires»,... certaines femmes sont décrites avec un tempérament fort, une volonté indéniable d'Hengameh de souligner la capacité de résistance des femmes, même face à l'inadmissible et à l'horreur. Le caractère indomptable, les méthodes de résistance, les détails concernant les «protagonistes» aident à s'imaginer et à ambitionner le pouvoir intérieur des femmes dans n'importe quelle situation. Il y a aussi mention de trahisons, des méthodes pour diviser les femmes, les repenties, les faibles face aux chantage et à la torture. Toute une palette de femmes sont représentées. En fait, la prison reflète définitivement la société où la complexité des relations et des engagements sont en perpétuel changement.


«Il faut dire qu'ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient en s'appuyant sur une fatwa célèbre de Khomeiny, lue à la télévision par le mollah Guilani, président des tribunaux de la Révolution islamique : «l'imam» (Khomeiny) avait donné carte blanche aux bourreaux pour tirer des aveux aux détenus.». Un chapitre entier est consacré à la première année de prison : le transfert, les exécutions, les diverses pensées à l'intérieur de la prison, la nourriture, l'hygiène, les personnes âgées, la ration de fouet, les repenties ou les Kapos, le «tribunal», la première visite autorisée.


Ensuite, vient le tour de la prison de Ghezel Hessar. «C'était vraiment des conditions inhumaines. Une fois toutes les vingt-quatre heures, les détenues avaient trois minutes pour aller aux toilettes... Les plus faibles et les malades asphyxiaient à cause du manque d'oxygène et de la compression... La règle du bain était ici la même qu'à Evine... Trois personnes devaient passer par cabine en un quart d'heure... Si aucun incident ne se passait, nous avions droit à une demi-heure de promenade... Les tortionnaires inventaient chaque jour de nouvelles persécutions pour briser les prisonnnières et, nous, nous faisions tout pour leur résister. A Ghezel, tout comme à Evine, certains soirs il y avait des «séances d'enseignement» obligatoires. Des mollahs, ou prétendus tels, venaient nous «conseiller»... Si l'une d'entre nous décidait de ne pas aller à ces séances d'éducation, non seulement elle était torturée, mais toutes ses compagnes de cellule étaient également punies...». Ce n'est qu'un petit aperçu vraiment très bref des différents descriptifs de ces deux prisons.


Un chapitre entier est consacré à «la cage» et un autre aux «unités habitables». Je pense que ce genre de détention et d'humiliations est assez courant dans le monde entier et c'est regrettable que cela se généralise. Depuis le 11 setembre 2001, les Étatsuniens s'y sont aussi mis et de façon assez ouverte sans que cela ne gêne les gouvernements occidentaux, auto-proclamés défenseurs des valeurs démocratiques et humanistes. La création des Nations Unies, de l'UNESCO et autres organismes ne peuvent nous faire oublier ce genre d'expériences qui peuvent se produire à perpétuité ou finir par l'exécution de la personne visée.


Jusqu'à quand aurons-nous besoin de témoignages qui s'accumulent sur les bureaux des organismes défenseurs des droits humains pour enfin réagir et punir les coupables par la Cour pénale internationale, quelque puissants et protégés qu'ils soient? Les démocraties doivent montrer l'exemple (à commencer par les États-Unis!) pour que les autres pays et peuples puissent suivre la voie de la démocratie. CONDITION SINE QUANON!


Page reliée : Laia R. : une rescapée de l'horreur, Ruby Bird, 30.09.2005

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