23 janvier 2016

Patrick Baudoin : l’Iran exécute plus d’individus par habitant que l’ensemble des autres pays du monde

L'OBS : Le 22 janvier 2016
Patrick Baudoin, avocat à la Cour, Président d’Honneur de la Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) était l’invité de Mediapart pour donner son point de vue sur la visite du Président iranien Rohani en France. Selon lui «il n’est pas possible de passer sous silence que depuis sa prise de pouvoir, l’actuel régime a ainsi exécuté pour des motifs politiques plus de 120.000 personnes».
Je vous invite à lire son billet qui s’intitule : La bombe à retardement des violations des droits de l'Homme en Iran.
Au moment de la visite du Président Rohani en France, il n’est pas possible de passer sous silence la situation des violations massives et systématiques des droits de l’homme en Iran. Depuis sa prise de pouvoir, l’actuel régime a ainsi exécuté pour des motifs politiques plus de 120.000 personnes. Selon Monsieur Ahmed Shaheed, rapporteur spécial des Nations Unies pour la question des droits de l’homme en Iran, ce pays « continue d’exécuter plus d’individus par habitant que l’ensemble des autres pays du monde ». L’arrivée à la présidence de Monsieur Rohani n’a permis aucune amélioration, et bien au contraire ce sont 2000 personnes, dont 57 femmes, qui ont été exécutées, pour certaines en public, à la seule fin de terroriser la population. Amnesty International a rapporté qu’ont été enregistrées 694 exécutions au premier semestre 2015, brossant ainsi « un tableau sinistre de l’appareil étatique qui procède à des homicides judiciaires prémédités à grande échelle ».

La justice est entièrement aux ordres du pouvoir, et l’exercice des droits de la défense illusoire. Tout opposant ou dissident s’expose à de lourdes condamnations. Les libertés d’opinion et d’expression sont inexistantes, et la liberté de la presse est totalement restreinte. Les journalistes figurent d’ailleurs, au même titre que les avocats et les militants pour les droits humains, parmi les cibles privilégiées des persécutions. La répression des minorités religieuses et ethniques se poursuit sans relâche. Les conditions de détention dans les prisons sont déplorables, avec pratique fréquente de mauvais traitements, ainsi que de refus de soins, jusqu’à la mort des prisonniers. Le recours à la torture, en toute impunité, est de pratique courante pour les autorités de police judiciaire et les services de sécurité. La lapidation et l’amputation demeurent des formes de châtiment barbare couramment utilisées. Récemment, un cinéaste, Keywan Karimi, accusé de propagande et d’insulte envers le sacré, a ainsi été condamné à six ans de prison et à 223 coups de fouet. La reconnaissance des droits de l’enfant est inexistante, et la peine de mort est applicable aux délinquants mineurs. Les femmes sont quant à elles les premières victimes du régime, subissant violences et discriminations de tous ordres. Dernièrement, des dizaines d’iraniennes ont été la cible d’attaques à l’acide sous le prétexte d’être mal voilées.

Toutes ces violations des droits de l’homme sont répertoriées dans une résolution adoptée le 17 décembre 2015 par l’Assemblée Générale des Nations Unies exhortant le gouvernement de la république islamique d’Iran à y mettre un terme, et « à assurer la tenue d’élections législatives crédibles ». En effet, le maintien de la dictature instaurée par les Mollahs constitue la négation de toutes les valeurs universelles. De plus, le régime ne se contentant pas de faire prévaloir la terreur à l’intérieur du pays exporte le terrorisme à l’extérieur et n’a de cesse dans sa recherche d’hégémonie, concurrentielle de celle de l’Arabie Saoudite, de déstabiliser toute la région du Proche Orient. Ainsi en va-t-il en Syrie, en Irak, et au Yemen, sans compter la volonté affichée de destruction de l’Etat d’Israël, laquelle n’a rien à voir avec une défense légitime des droits des palestiniens.

Il serait donc irresponsable de continuer à faire perdurer un tel régime, voire à le renforcer. C’est pourtant le risque encouru au travers de l’accord intervenu sur le nucléaire iranien qui pourrait fort bien s’avérer être un marché de dupes pour les puissances occidentales. Alors qu’il y a une certitude de voir la levée des sanctions économiques profiter rapidement au pouvoir des Mollahs, il n’y a nullement la même garantie d’une renonciation véritable de ce pays à devenir une puissance nucléaire et à poursuivre sa politique expansionniste. La réalité demeure que le régime théocratique iranien, par sa nature même, continue d’alimenter l’extrémisme islamiste à travers son soutien à des groupes terroristes.

Il n’y a pas davantage lieu de dérouler le tapis rouge au Président Rohani, en quête de respectabilité internationale, qu’il n’y avait lieu de le faire pour Khadafi ou Assad. Fermer les yeux sur les atteintes aux libertés en Iran au nom du développement des relations économiques et de la passation de juteux contrats constitue non seulement un comportement immoral, mais aussi un mauvais calcul pour l’avenir. C’est oublier la souffrance du peuple iranien bâillonné qui ne supportera pas indéfiniment le sort qui lui est réservé. Plutôt que d’attendre une révolte explosive, mieux vaut dès maintenant, ici comme ailleurs, apporter un soutien à la société civile et aux forces vives du pays en exigeant de l’actuel régime des améliorations tangibles sur le terrain des libertés et des droits de l’homme. La défense des valeurs fondamentales ne doit pas être éclipsée par la recherche du business à tout prix, et le moment est d’autant plus propice pour imposer cette exigence que l’Iran a bien davantage besoin que l’Occident de la reprise en cours des relations économiques et financières.

La France s’honorerait pour sa part à ouvrir la voie en intégrant un volet droits de l’homme pour la poursuite de la normalisation des relations avec l’Iran. Elle ne pourrait qu’en tirer profit sur le plus long terme car celui lui vaudrait la reconnaissance du peuple iranien. Dans le cas contraire, l’image déjà largement dévaluée de la France patrie des droits de l’homme serait une nouvelle fois ternie.