01 août 2016

La mort lente des prisonniers politiques en Iran

Par : Simin Nouri
Architecte franco-iranienne, présidente de l'Association des Femmes Iraniennes en France

LE HUFFINGTON POST, 29 juillet 2016 : L'actualité internationale récente, notamment le coup d'État manqué en Turquie qui a donné lieu aux lynchages et aux arrestations massives dans ce pays ont préoccupé les ONG de défense des droits de l'Homme, et du coup rendu quasi inaperçu un important rapport de l'organisation de défense des droits de l'Homme, Amnesty International, sur le voisin iranien de la Turquie.

Par un communiqué de presse, publié le lundi 18 juillet, Amnesty International confirme les témoignages clandestins et sporadiques des prisonniers politiques et ceux des membres de leurs familles en provenance d'Iran sur le traitement inhumain des autorités carcérales en les privant intentionnellement des soins médicaux.

«Les autorités iraniennes jouent avec la vie de prisonniers d'opinion et d'autres prisonniers politiques en refusant qu'ils bénéficient de soins de santé adéquats, ce qui les expose à un risque élevé de décès, de handicaps permanents ou d'autres dommages irréversibles à leur santé», écrit l'organisation dans ce nouveau rapport.

La synthèse de l'enquête d'Amnesty International auprès de détenus politiques et de leurs familles en Iran met en évidence le caractère prémédité des refus quasi systématiques de la part des responsables carcérales d'accéder aux soins nécessaires.

«L'enquête dévoile que les autorités carcérales bafouent ouvertement les droits des détenus à la santé, en confisquant leurs médicaments et provoquent des hématomes sur les mains et les pieds en les menottant.»


Déni de soins pour obtenir des «aveux»
Le rapport présente «des éléments convaincants selon lesquels l'appareil judiciaire, en particulier le parquet, et l'administration carcérale bloquent délibérément l'accès à des soins de santé adaptés, dans de nombreux cas par cruauté, afin d'intimider, punir ou humilier des prisonniers politiques, ou pour leur arracher des "aveux" forcés ou des déclarations de "repentir"».

«Priver des prisonniers d'opinion de soins médicaux est cruel et absolument indéfendable», a déclaré Philip Luther, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d'Amnesty International.

L'enquête dévoile que les autorités carcérales bafouent ouvertement les droits des détenus à la santé, en confisquant leurs médicaments et provoquent des hématomes sur les mains et les pieds en les menottant.

Des détenus rencontrés par Amnesty International ont par ailleurs indiqué que les médecins de la prison étaient parfois complices de ces violations et que certains d'entre eux minimisaient ou ignoraient systématiquement leurs problèmes de santé, les qualifiant de «fruits de leur imagination».

«Privations de soins médicaux spécialisés à l'extérieur de la prison»
Le rapport s'est penché sur dix-huit «cas choquants» de prisonniers privés d'aides médicales appropriées qui «risquent de voir leur santé compromise de manière permanente.»

Le gouvernement du «pragmatique» Hassan Rohani et son ministère de la Justice qui gère d'ailleurs l'Organisation des prisons iraniennes porte une responsabilité particulière dans ces crimes visant à empêcher toute activité politique des opposants après leur sortie éventuelle de la prison. Le recordman du nombre de pendaisons dans le monde semble chercher ainsi un autre trophée pour le nombre des prisonniers politiques qui agonisent dans ses prisons.

L'absence du personnel médical féminin dans la section des femmes de la prison d'Evine à Téhéran révèle également la double souffrance des détenues politiques et prisonnières d'opinion. Des examens médicaux urgents et certains soins par des professionnels de la santé de sexe masculin jugés «inappropriés» selon la mentalité des islamistes au pouvoir en Iran, leur sont carrément refusés. Ces militantes détenues sont souvent cibles «des insultes et des actes de harcèlement à caractère sexuel, pour n'avoir pas respecté la règlementation très stricte concernant le port du voile», indique le rapport.

  • La jeune militante kurde Zeinab Jalalian, torturée pour avoir avoué son appartenance à l'opposition kurde, est sur le point de perdre la vue en prison ;
  • Pour avoir refusé de collaborer sur des projets militaires, le physicien emprisonné Omid Kokabee, 33 ans, n'est toujours pas transféré à l'hôpital pour un cancer de reins ;
  • Le cancer d'intestin dont souffre le détenu politique kurde Afshin Sohrabzadeh ne peut être soigné, car les autorités lui réclament une caution faramineuse pour lui accorder la sortie ;
  • Le dirigeant de la communauté bahaï Afif Naimi, atteint d'un trouble grave de la coagulation, ne reçoit pas de soins réguliers et souffre de saignements et de pertes de connaissance ;...


Le quartier n° 8 de la tristement célèbre prison d'Evine à Téhéran est réputé d'être le «quartier le plus horrible» et un «lieu d'exil pour les prisonniers politiques».

À la liste d'Amnesty peut s'ajouter le cas de l'Irano-Canadienne Homa Hoodfar, l'anthropologue et professeure à la retraite de l'Université Concordia à Montréal, incarcérée depuis le 6 juin soupçonnée d'avoir «coopéré avec un État étranger contre la République islamique d'Iran». Cette universitaire de 65 ans qui vit depuis 30 ans au Canada est atteinte d'une maladie neurologique grave pour laquelle elle a besoin de médicaments spécifiques. Sa famille n'a, à ce jour, aucune information sur son sort.

L'infatigable résistant, Ali Moezi, 65 ans, souffre d'une tumeur à la vessie et des problèmes rénaux, mais l'accès aux soins dans un hôpital à l'extérieur d'Evine lui a été refusé par «le juge». Il n'a jamais été libéré ne serait-ce que pour un court congé depuis plus de quatre ans de détention.

Il a adressé clandestinement un message du quartier 8 d'Evine aux Iraniens du monde entier les encourageant à participer au grand rassemblement pour un «Iran Libre» qui s'est déroulé le 9 juillet au Bourget et les a appelés à soutenir la résistance iranienne.

Le quartier n° 8 de la tristement célèbre prison d'Evine à Téhéran est réputé d'être le «quartier le plus horrible» et un «lieu d'exil pour les prisonniers politiques» et de nombreux opposants politiques au régime iranien y demeurent dans un espace surpeuplé en étroite proximité avec des détenus de droit commun.

«Le recours à la grève de la faim est le cri de contestation et l'ultime appel à l'aide dans les prisons iraniennes. Les détenus sont poussés ainsi à se mettre en danger de mort.»

«Grèves de la faim»
Souvent emprisonnés sous accusations sans fondement et même ridicules, de «propagande contre la République islamique», «contact avec les médias étrangers», «insultes envers le Guide suprême et des valeurs sacrées», ou pour «être sympathisant de l'opposition», les détenus politiques et prisonniers d'opinion n'ont pas droit à un procès équitable. Ils ne peuvent pas, non plus, bénéficier d'une aide juridictionnelle et rarement des services d'un avocat. Ils doivent demeurer en détention des semaines voire des mois dans l'attente de leur procès. La plupart sont souvent condamnés à de longues peines d'emprisonnement, bien loin de la durée de détention prévue même selon les lois sévères en vigueur de la théocratie au pouvoir.

Le recours à la grève de la faim est le cri de contestation et l'ultime appel à l'aide dans les prisons iraniennes. Les détenus sont poussés ainsi à se mettre en danger de mort.

Le prisonnier politique Rassoul Hardani continue sa grève de la faim entamée le 1er juillet et Maryam (Nassim) Naghash Zargaran, emprisonnée pour s'être convertie au christianisme, refuse également de s'alimenter réclamant sa libération inconditionnelle.

Enfin, pour protester contre son arrestation arbitraire et l'ingérence des services de renseignements des Gardiens de la révolution dans son dossier judiciaire, le prisonnier politique Saïd Hosssein-Zadeh est entré en grève de la faim le 18 juillet, le jour où le rapport d'Amnesty International a été rendu public.