21 avril 2016

Le tourisme "tout-risque" en Iran

Par : Simin Nouri
Architecte franco-iranienne, présidente de l'Association des Femmes Iraniennes en France

LE HUFFINGTON POST, 21 avril 2016 : Ça y est, le premier vol Paris-Téhéran d'Air France a repris en grande pompe le 17 avril après huit ans d'absence. Hommes d'affaires, touristes, chercheurs se précipitent vers la Perse devenue le pays des mollahs.

Que reste-t-il à voir de ce passé glorieux de plusieurs millénaires à part des monuments mal entretenus? Il reste un peuple de près de 80 millions d'âmes dont plus de la moitié ont moins de 30 ans. Un peuple en quête de liberté, hospitalier mais sous pression d'un pouvoir islamiste féroce.

A côté des brochures publicitaires sur les hauts lieux et sites archéologiques à visiter en Iran, il serait utile pour ceux qui choisissent "la destination en 2016" de jeter aussi un coup d'œil sur l'actualité du pays et l'état dans lequel se trouve sa population, surtout les femmes et la jeunesse, au bout de 37 ans de gouvernement théocratique fascisant et violemment répressif.

Dans un rapport accablant, l'écrivain-journaliste Nader Fatourehtchi tire la sonnette d'alarme sur une fracture sociale effrayante dans ce pays d'importance stratégique pour la paix dans le monde. Il décrit les grandes affiches publicitaires sur les autoroutes de Téhéran et d'autres grandes villes iraniennes vantant l'exotisme des "montres fabriquées à base de terre de Lune" (à plusieurs centaines de milliers d'euros la pièce) et les "Penthouse et villas décorées à l'italienne avec terrain de golf, pistes d'équitation et héliport".

L'auteur du rapport met en garde les autorités sur les extravagances des nouveaux milliardaires iraniens, les"aghazadeh", fils et filles à papa des mollahs, qui roulent dans des voitures ultra luxueuses et se délectent en public "de glace à la poudre d'or".

Les candidats au voyage dans l'Iran des mollahs noteront également que les immenses revenus du pays ont été dépensés pendant deux décennies de programme nucléaire et d'autres projets ambitieux aux visées expansionnistes et militaristes dans la région, dont un soutien sans faille et très coûteux au dictateur Bachar Assad en Syrie. Il semble surréaliste d'aider financièrement (en devises étrangères) via le tourisme, un pouvoir complice des crimes de masse à Damas depuis cinq ans, et co-responsable de la fuite de millions de réfugiés syriens qui frappent aux portes de l'Europe. Cela mérite une petite réflexion de la part de nos touristes potentiels.

Rappelons également qu'une grande partie du budget de l'Etat est consacré à la police politique et ses services secrets pour la surveillance et la répression de la population et des actes de sabotage et de terrorisme dans de nombreux pays. La police de Téhéran vient d'annoncer l'injection de 7000 agents en civil (à la mine patibulaire) chargés d'assurer "la sécurité morale" dans les rues de Téhéran en particulier dans le domaine du code vestimentaire imposé aux femmes.

Ainsi, il serait illusoire de croire, comme les représentants du régime, leurs lobbies et partenaires commerciaux veulent le faire croire en Occident, que le tourisme de masse aiderait en créant des emplois une population appauvrie par la politique de ses propres gouvernants.

Les conséquences désastreuses du chômage de masse et de l'appauvrissement de la population, en particulier de la classe moyenne, font partie du paysage iranien: le nombre élevé de toxicomanes, les milliers de vendeurs à la sauvette, les femmes et enfants qui dorment sous les cartons dans la rue et la prostitution dont les chiffres atteignent des proportions sans précédent.

De plus, il manque à l'Iran d'aujourd'hui la stabilité politique nécessaire pour attirer les investissements étrangers, en raison des conflits internes du pouvoir et d'un potentiel insurrectionnel dans la population.

Parallèlement à "la découverte des trésors de la Perse antique", pour connaitre l'Iran d'aujourd'hui, les visiteurs doivent pouvoir s'approcher de la population. Dans ce cas attention ! Ce sera le Tourisme Tout-risque... les visites sont guidées, voire embrigadées...

Notons enfin que le 11 avril 2016, l'Union européenne a de nouveau sanctionné 82 responsables du régime iranien pour "graves violations des droits humains".

Depuis 2011, les vingt-huit nations de l'UE ont gelé les actifs iraniens. L'exportation en Iran d'équipements pouvant servir à la répression de la population et à la surveillance des télécommunications est interdite. Il est également prohibé pour certains responsables iraniens de voyager en raison de leurs exactions.

Ces sanctions ont été renouvelées chaque année, et celles en vigueur le resteront jusqu'au 13 avril 2017.

Il est donc fortement recommandé aux Français qui rêvent de retrouver la Perse, le pays des mille et une nuits, d'y réfléchir à deux fois avant de prendre le vol Paris-Téhéran d'Air France pour la nuit des mollahs.