Personne ne s’étonne plus de l’absence totale des Iraniennes sur la scène politique de leur pays. Mais vu la lamentable mascarade électorale du 18 juin dernier, où même des hommes du sérail ont été cruellement écartés du scrutin, il vaut mieux se réjouir qu’aucune Iranienne n’était présente à ce rdv non démocratique, à ce "filtrage" universel.
Les appels à boycotter les "élections" présidentielles toujours verrouillées de la République islamique lancés par l’opposition n’ont rien d’étonnant mais cette fois-ci, ceux lancés ouvertement par la population à l’intérieur du pays et sur les réseaux sociaux retiennent surtout l’attention : des prisonniers politiques, des mères des manifestants exécutés, des familles des victimes de la répression, des travailleurs, des retraités, des enseignants, des minorités ethniques et religieuses… Une vaste campagne de "NON" à la théocratie a été lancée et l’abstention a été jugée historique, de l’aveu même des autorités du régime.
L’"élu" sans rival du one-man-show du Guide suprême fut sans surprise Ebrahim Raïssi. A 60 ans, le chef actuel de l’Autorité judiciaire devient le nouveau président de la République et remplacera dès août 2021 le sortant Hassan Rohani.
Avec six années d’études élémentaires et sans aucune formation juridique, Raïssi "l’inculte" a été désigné, dans la foulée de l’avènement de la République islamique en 1979, procureur-adjoint dans une ville de taille moyenne… à 19 ans! Cet enfant-mollah a baigné dans l’idéologie islamiste du velayat-e faghih [la tutelle d’un "guide" religieux tout-puissant] faisant carrière au sein du régime intégriste. Dévoué à Rouhollah Khomeiny, il devient après la mort de celui-ci, l’élève et le disciple zélé de son successeur, Ali Khamenei. Ebrahim Raïssi est un proche, un fidèle, un exécuteur sans états d’âme des ordres du Guide suprême.
Mais pour de nombreux Iraniens et des organisations et défenseurs des droits humains, Ebrahim Raïssi reste associé aux exécutions et disparitions d’opposants à la dictature du "Guide suprême" dès le début des années 80. Membre actif de la terrible "commission de la mort", chargée par Khomeiny d’anéantir son opposition, il est l’un des responsables des exécutions extrajudiciaires, en été-automne 1988, de dizaines de milliers de prisonniers politiques, pour la plupart des membres et sympathisants du mouvement des Modjahiddines du peuple dont un tiers des femmes et des adolescentes. Ce massacre des détenus politiques sans défense a été qualifié par plusieurs organisations dont Amnesty international de "crime contre l’humanité". Raïssi est surnommé" bourreau du massacre de 1988"et "le boucher de Téhéran" par les familles des victimes.
Un bilan aussi noir que son turban
Ayant servi durant quatre décennies dans le système judiciaire du régime, il est l’un des agents notoires de la répression de la théocratie au pouvoir pour avoir occupé des postes clés tels que : chargé d’interrogation au tribunal de Masjed-Soleiman (sud), procureur à Karaj (centre), Hamedan (ouest) et Téhéran, procureur-général de Téhéran (1989 -1994), chef de l’inspection nationale, procureur spécial pour le clergé, président du conseil de surveillance de la télévision d’État, chef-adjoint de l'Autorité judiciaire de 2004 à 2014, procureur-général de la République islamique, …
Ebrahim Raïssi figure sur la liste des personnalités sous sanctions des Etats-Unis pour avoir été en outre impliqué dans la répression du mouvement de protestation contre la réélection truquée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en 2009. A ceux qui évoquaient la compassion et la clémence recommandées dans la religion, il a répondu, " nous allons continuer d'affronter les émeutiers jusqu'à la fin et nous déracinerons la sédition".
Nommé chef du pouvoir judiciaire depuis 26 février 2019 par le Guide suprême, Ebrahim Raïssi est responsable de la répression sanglante du mouvement de protestations nationales en novembre 2019 lors duquel plus de 1500 manifestants (selon Reuters), majoritairement jeunes, dont de nombreuses femmes, ont été sauvagement tués, et des dizaines de milliers d’autres ont été arrêtés, emprisonnés, torturés ou exécutés après des aveux forcés.
Selon des chiffres officiels, au moins 30 femmes ont été condamnées à mort et pendues depuis sa dernière nomination à la tête du pouvoir judiciaire. Selon les ONG et les proches, 36 détenues ont été torturées, et 24 femmes ont été condamnées à un total de plus de 1600 coups de fouet,…
Mettre fin à "l’impunité qui règne en maître en Iran"
Samedi 19 juin, à l’annonce, de l’"élection" d’Ebrahim Raisi, Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, a déclaré : «L’accession à la présidence d’Ebrahim Raïssi fait suite à un processus électoral qui s’est tenu dans un environnement extrêmement répressif et qui interdisait aux femmes, aux membres des minorités religieuses et aux candidats d’opposition à se présenter à l’élection... Nous continuons à demander à ce qu’Ebrahim Raïssi fasse l’objet d’une enquête pour son implication dans des crimes de droit international passés et actuels… Il est plus urgent que jamais que le Conseil des droits de l'homme de l’ONU prenne des mesures concrètes pour lutter contre la crise de l’impunité systématique Iran… »
La commissaire allemande aux droits humains, Bärbel Kofler, a de son côté tweeté : « Il est inquiétant que le président-élu n’ait pas, jusqu’à présent, clarifié son propre passé ni pris clairement ses distances par rapport aux violations des droits humains. Les droits humains ne sont pas négociables. De plus, l’Iran s’est engagé au niveau international à les respecter. La voix du peuple iranien qui réclame la liberté et les droits de l’homme doit être entendue ! »
Et maintenant ?
Reste à voir comment les dirigeants occidentaux feront désormais face au dilemme de relations avec un régime dont le vrai visage n’est plus camouflé par un dirigeant "réformateur" ou un président "modéré", mais représenté "sans masque" par un mollah réputé mondialement pour les pires violations des droits fondamentaux des Iraniens. Les démocraties occidentales sauront-elles rester fidèles à leurs valeurs face au défis grandissants lancés par les ennemis jurés des droits de l’homme et des libertés fondamentales?
Par Simine Nouri