Avec Ebrahim Raïssi président, un radical ayant joué un rôle important dans presque tous les dossiers majeurs des violations des droits humains en Iran, Ali Khamenei entend opérer un virage extrémiste vers plus de répression sur le front intérieur et plus d’intransigeance à l’étranger.
L’investiture d’Ebrahim Raïssi à la présidence du régime iranien suscite l’inquiétude pour le monde et un choc pour les Iraniens. Bien que la théocratie n’ait jamais tenu d’élection digne de ce nom et que les vrais démocrates iraniens ont toujours été bannis des scrutins depuis quatre décennies, l’arrogance avec lequel le guide suprême, Ali Khamenei, a imposé cette fois son candidat favori a indigné plus d’un.Khamenei a franchi un pas de plus dans sa dérive totalitaire en écartant de la course électorale les principales figures de la faction dite "modéré". Avec Raïssi, comme président, un radical ayant joué un rôle important dans presque tous les dossiers majeurs des violations des droits humains en Iran, il entend opérer un virage extrémiste vers plus de répression sur le front intérieur et plus d’intransigeance à l’étranger. L’inquiétude et le choc est sans doute ce que recherche le régime pour dissimuler sa fragilité. Pour un régime qui traverse ses jours les plus difficiles depuis son avènement en 1979, ce repli autoritaire vise à se préparer au pire.
Or, le pire est déjà là, depuis plus de deux semaines des manifestations déclenchées dans la province riche en pétrole du Khouzestan contre la pénurie d’eau, se perpétuent dans le pays et touchent même la capitale. Il ne se passe pas un jour sans qu’une région soit touchée par des protestations au cri de "A bas la dictature". Malgré les arrestations et plus de 12 manifestants tués, ce mouvement ne s’estompe plus.
Les autorités craignaient que la crise sociale dégénère à tout moment et le pays qui est plus mûr que jamais pour un soulèvement populaire soit cette fois plus dangereux qu’en 2017 et 2019. La révolte de novembre 2019, déclenchée par la hausse du prix de l’essence, a failli emporter le régime par son intensité et n’a pu être contenue que par une tuerie de masse qui a fait 1500 morts et des milliers d’arrestations.
Le pays traverse une période de turbulences dont la nature est fort différente de celles d’avant, avec une situation sociale détériorée, une gestion calamiteuse quasi-criminelle de l'épidémie du coronavirus qui continue de faire des ravages d'une ampleur démesurée, des pénuries d’eau et d’électricité... Outre le déficit de légitimité politique du régime, le gouffre économique dans lequel se trouve le pays exaspèrent les Iraniens qui dénoncent un pouvoir corrompu qui gaspille la rente pétrolière de ce riche et grand pays qu’est l’Iran. L'inflation dépasse les 50% et certains ouvriers n'ont pas été payés depuis des mois. Excédés par la vie chère et la misère du quotidien, la classe moyenne a rejoint les déshérités dans son dénuement économique et l’absence de perspectives.
Les caisses de l'État sont vides et la fébrilité sociale est perceptible, avec une recrudescence des grèves et des protestations de divers secteurs de la société. Un mouvement de grève sans précédent touche les secteurs du pétrole, du gaz et de la pétrochimie depuis six semaines. Les travailleurs dans plus de quatre-vingts entreprises et sites participent à ce mouvement inédit depuis l'avènement du régime islamiste.
Raïssi ne peut être la solution
L’installation de Raïssi à la présidence n’est non seulement pas la solution au problème du régime, mais au contraire, il place cette théocratie dans l’embarras. L’implication d’Ebrahim Raïssi dans le massacre de plusieurs dizaines de milliers de prisonniers politiques en 1988, pour la plupart des militants de l’organisation des Moudjahidine du peuple d’Iran (OMPI), a rallumé le mouvement pour la justice. Amnesty international, comme le rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’homme en Iran réclament une enquête internationale sur son rôle dans ce crime.
L’embarras est aussi pour les pays occidentaux qui ne peuvent plus se comporter comme avant, vis-à-vis de ce régime. Pour le peuple iranien, la politique de concession sous prétexte de conforter les modérés n’a fait qu’endurcir le régime et prolonger son existence néfaste tant pour les Iraniens que pour la paix internationale.
Les démocraties devraient rompre avec la politique de complaisance face à Téhéran et soutenir les appels des Iraniens dans les manifestations pour une république basée sur des élections libres, la laïcité, l’égalité des genres, la non-discrimination des minorités ethniques et religieuses, un programme contenu dans le plan de la présidente du Conseil national de la Résistance iranienne, Maryam Radjavi.
La dictature iranienne et son lobby veulent faire croire qu’il n’y a pas d’alternative au régime et que les Iraniens sont condamnés à vivre sous son joug.
Or, la résistance iranienne a montré ces dernières années une formidable capacité d’organisation tant à l’intérieur qu’en exil. Les médias et les autorités iraniennes ne cessent de mettre en garde notamment contre les activités des unités de résistance dans le pays. Outre l’impact qu’ils ont eu dans la récente campagne de boycott de la parodie électoral avec le mot d’ordre "mon vote c’est le renversement", leurs activités pour mobiliser les jeunes autour de revendications sociales et pour le changement de régime n’ont pas manqué d’inquiéter les autorités. Sans ce formidable mouvement le régime aurait pu éteindre la contestation. Ce soulèvement dont le régime craignait a donc peut-être bien commencé. Pas sous forme d’un tsunami, mais comme de fortes vagues qui se succèdent et viennent épuiser fatalement l’endurance du régime.