15 avril 2020

Coronavirus en Iran : fanatisme et mensonges d’Etat


Alors que la censure, les mensonges et l’incompétence des responsables sont décriés sur les réseaux sociaux en Iran, des journalistes et internautes ont été arrêtés et inculpés pour"diffusion des rumeurs sur la propagation de l’épidémie".

Les dirigeants du régime iranien continuent à priver la population de leur droit à l’information et cela ne date pas de l’émergence de l’épidémie du coronavirus. Depuis un an, l’Iran est frappé par plusieurs catastrophes naturelles ainsi que des manifestations populaires provoquant une crise de légitimité sans précédent pour les gouvernants, toutes factions confondues : séismes meurtriers en 2018 et 2019 (des centaines de morts), inondations particulièrement dévastatrices et meurtrières de mars-avril 2019, répression sanglante du soulèvement populaire de novembre 2019 après avoir instauré un blackout total sur les réseaux Internet (1500 morts au moins), la destruction d’un avion de ligne ukrainien par un missile sol-air iranien près de Téhéran tuant les 176 passagers et membres d’équipage, la plupart des ressortissants iraniens et la répression des manifestations spontanées qui ont suivi ce désastre, très hostiles au régime, visant notamment le « guide suprême » Ali Khamenei en personne. Ces événements ont mis en lumière deux réalités indéniables : la colère de la population contre l’incurie, la corruption et la cruauté des dirigeants, et les mensonges d’Etat qui ont accompagné toutes ces tragédies*.  

Aujourd’hui, la crise sanitaire du coronavirus dont l’Iran est devenu le foyer principal au Moyen-Orient est une nouvelle illustration des inepties et de négligence criminelle d’un pouvoir pour qui les considérations de politique intérieure et son aventurisme extérieure teintés d’un aveuglement idéologique priment sur l’intérêt général, à commencer par le respect de la vie humaine et le devoir de la protection de la population qui incombe à tout gouvernement digne de ce nom. 

Aveuglement des fanatiques
Dans sa chronique "Ma vie », l’éminent historien iranien Ahmad Kasravi (1890-1946) raconte que pour lutter contre le choléra qui dévastait la province d’Azerbaïdjan iranien en 1904, mollah Mir Fatah, mufti de Tabriz, recommande à la population de prier sous des corans suspendus et donner l’aumône et apporter des offrandes à sa propre maison. Allant encore plus loin, il assoit son propre fils sur un âne et le fait circuler dans la ville pour que les gens le touchent et guérissent. Pas de chance, son fils meurt du choléra !

Plus d’un siècle plus tard, Ali Khamenei, le numéro un du régime des mollahs au pouvoir en Iran depuis quatre décennies, conseille aux Iraniens de prier pour éloigner la maladie. Sans mentionner le virus, il le qualifie de "pas un si grand fléau". Le Guide suprême a accusé des ennemis de la République islamique d’avoir déclenché "une attaque biologique" contre celle-ci. Or d’après de nombreuses sources médicales et même gouvernementales du pays, les autorités politiques étaient parfaitement au courant de l’apparition de plusieurs cas de contamination au coronavirus et sa dangerosité mortelle dès le début de février. Cependant, pour que l’annonce de l’entrée du virus sur le territoire national depuis la Chine, grand partenaire commercial et allié politique de la théocratie iranienne, ne perturbe les cérémonies de l’anniversaire de « la révolution islamique » ou encore suscite un faible taux de participation aux élections législatives du 21 février sensées donner au « guide suprême » et sa faction une mainmise absolue sur le pouvoir, les autorités ont décidé de dissimuler la réalité de la situation, montrant ainsi qu’ils faisaient peu de cas de la santé publique.

Bilan officiel vivement contesté
Les premiers cas d’infection au Covid-19 en Iran n’ont été officiellement annoncés que deux jours avant les élections législatives du 21 février. Le 24 février, un député de Qom a déclaré aux médias avoir communiqué la liste d’une cinquantaine de personnes décédées  une semaine avant les élections, au ministre de la Santé.
Premier foyer de l’épidémie au Moyen Orient et le troisième pays touché après la Chine et l’Italie, l’Etat iranien a délibérément retardé la fermeture du mausolée à Qom, visité chaque jour par des centaines voire des milliers de pèlerins. Entre 700 à 900 étudiants chinois suivent des séminaires religieux chiites à Qom. Aller et venus entre l’Iran et la Chine n’a pas cessé.  Le bilan officiel des décès et des personnes atteintes est fortement contesté par le personnel soignants et des sources diverses convergentes. Le manque de transparence et la réticence du régime à adopter des mesures fortes de quarantaine ont provoqué la propagation rapide et étendue du coronavirus dans une trentaine des provinces du pays **.

Alors que la censure, les mensonges et l’incompétence des responsables sont décriés sur les réseaux sociaux en Iran, des journalistes et internautes ont été arrêtés et inculpés pour"diffusion des rumeurs sur la propagation de l’épidémie".

Prisonniers politiques en danger de mort
L’éclosion du coronavirus dans les prisons surpeuplées de l’Iran où les conditions de détention étaient déjà préoccupantes, est une grande source d’inquiétude. Le pouvoir judiciaire s’est vu contraint de libérer provisoirement quelques 70.000 détenus (Quotidien Hamshahri, 9 mars 2020). Ces mesures sont jugées insuffisantes et tardives par les familles des prisonniers et par Javaid Rehman, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’Homme en Iran, qui le 10 mars devant les médias à Genève, a critiqué la gestion de l’épidémie par les autorités iraniennes. Des craintes demeurent sur le sort de très nombreux détenus (es) politiques et prisonniers (ères) d’opinion qui sont en réel danger aggravé par l’absence quasi-totale d'hygiène dans les prisons. Malgré les déclarations des autorités sur la libération d’un certain nombre de prisonniers politiques et alors que le coronavirus se propage dans les geôles des mollahs, selon des sources concordantes, les détenus politiques iraniens ne font pas partie des prisonniers libérés.

Par Simin Nouri

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* Voir  l’article éclairant de Jean-Pierre Filiu, lemonde.fr, 22 mars 2020

** Voir également